Petite conne (1)
Ces 3 mots tombèrent, comme des couperets. Cinglant aussi fort qu’ils étaient prononcés à voix douce. Destructeurs de mépris, remplis de déception. Des poignards littéraires. Déchirants ma tête à chaque syllabe, le tout pesant plus lourd que les ensembles dont il est composé.
C’était fait, il l’avait dit, je l’avais entendu. Nous n’avions jamais franchi cette ligne-là, auparavant. Il avait dû le penser, probablement, de temps en temps… Je n’étais pas différente des autres, j’avais du susciter parfois un agacement, une colère telle qu’il avait dû le penser. Je le savais au fond de moi, j’évitais bien soigneusement d’y penser, me drapant dans l’idée confortable que jamais je ne le décevrais. Qu’il est doux, le temps de l’enfance, le temps où être la princesse de papa est le centre de son monde, le but de sa vie… Qu’il est doux de prolonger cet état de grâce bien au-delà de l’âge légal et prescrit, de revenir dans le giron paternel, sous ce regard bienveillant. J’en ai profité de longs mois, des années peut-être. J’ai profité de cette faiblesse à mon égard, de ce laxisme que nous feignions de ne pas voir. C’était moi et lui, contre le reste du monde. Les autres étaient trop idiots, trop Autres pour comprendre. Il y avait Moi, et puis Lui. Et rien ni personne entre nous deux. J’étais éternellement une enfant en demande d’aide et de soutien, et lui éternellement mon sauveur.
Bien sûr, il râlait quelque fois, il tempêtait pour la forme, rechignait pour de rire… Mais nous savions, je savais, que ces manifestations étaient surtout destinées à la galerie, au vaudeville humain géant. Au fond, tout au fond, j’étais choyée, aimée, soutenue. J’étais une princesse, l’archétype de la jeune femme délicieuse, la petite fille que tous les papas rêvent d’avoir.
Et tout-à-coup, sans que je comprenne vraiment comment, en 1 seconde et demie, en 3 syllabes, tout s’est écroulé. Une page s’est tournée, j’ai été projetée dans ce monde adulte, hostile. Je l’avais bien soigneusement fuit depuis des années, j’en avais même oublié qu’il existait. Ou presque. Le voilà qui se catapultait dans ma réalité, me lançant à la figure la laideur de ses revirements. J’étais, en une fois, exposée, explosée, par la pointe d’amertume que j’ai entendue dans cette voix.
Plus encore que l’injure, c’est ce tout petit désaveu. Un trois fois rien de désapprobation. Une plume de déception. Et me voilà nue de mon enfance.
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